Les visas Schengen et les ressortissants algériens conjoints de français (FR)
- Jade Bitar
- 3 mai
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Dernière mise à jour : 4 mai
L’un des principes qui guident le droit des étrangers en France est l’obligation pour le ressortissant étranger non citoyen de l’Union européenne qui souhaite s’installer sur le territoire national de disposer d’un visa long séjour en cours de validité lors de son arrivée. L’absence totale de visa constitue bien sûr une violation de cette obligation. Le fait de bien disposer d’un visa long séjour, mais dont le statut s’avère inadapté à la réalité du séjour de son titulaire est également une manière de ne pas respecter l’impératif. Ainsi rentrer en France sous visa étudiant pour au final y travailler n’est évidemment pas envisageable, au moins pour cette raison (et pour d’autres, relatives au séjour et aux droits limités qu’il créé pour l’étranger).
La manière dont la personne entre en France impacte les règles qui s’appliqueront à lui/elle, et c’est à ce moment que se fonde la grande séparation du droit de l’immigration entre immigration légale et l’immigration dite illégale, qui ne frappe pas pour autant le séjour entier du ressortissant étranger d’illégalité, mais restreint son accès à un titre de séjour à des voies très spécifiques et beaucoup plus exigeantes en droit comme en pratique. Le législateur, pas avare en distinctions symboliques, a mis en exergue cette distinction en intitulant le code réunissant ces règles le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), séparant nettement les deux propositions et corps de règles.
Lorsque l’on considère l’immigration légale, nous ne sommes donc pas surpris d’apprendre que la loi ne tolère aucune exception et n’autorise personne à rentrer en France sans visa pour ensuite obtenir un titre de séjour. Pareillement, aucun texte n’autorise un ressortissant étranger à rentrer en France sur la base d’un visa court séjour (le visa C ou visa Schengen) ou un visa inadapté pour ensuite faire une demande de titre de séjour et s’installer durablement en France. C’est le sens notamment de l’article L412-1 du CESEDA qui pose comme condition stricte à l’obtention du titre de séjour l’obtention préalable d’un visa long séjour correspondant.
Personne ? Une exception légale existe. Une seule, et pas des moindres : l’article L423-2 du CESEDA écarte explicitement l’obligation de disposer d’un visa long séjour adapté pour les conjoints de français. Cela ne veut pas dire que le visa « conjoint de français » n’existe pas pour autant, mais qu’il est possible de s’en passer dans certaines circonstances. La raison, je pense, pour laquelle cette exception existe, est de permettre au ressortissant étranger fiancé à un français d’arriver sous visa Schengen (ou sans visa si sa nationalité l’y autorise), de se marier en France, et de bénéficier directement du statut de conjoint de français sans avoir à faire d’aller-retour à l’étranger pour y demander son visa. Les conditions d’obtention de la carte ne sont pas pour autant simples, et il arrive fréquemment que des couples se méprennent sur ces conditions pour se retrouver dans des situations complexes.
Une seule exception légale donc. Mais ce n’est pas tout. L’article L412-1 du CESEDA est applicable « sous réserve des engagements internationaux de la France ». Restent donc les accords internationaux, qu’ils soient pris dans le cadre d’organisations multinationales (les accords relatifs aux migrants par exemple), mais aussi les accords bilatéraux entre la France et d’autres Etats, posant des règles et statuts spécifiques. L’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 est un tel accord. Modifié plusieurs fois, il dispose d’un statut particulier pour des raisons historiques évidentes. Selon le site du Ministère de l’Intérieur, il exempte les ressortissants algériens du droit commun en matière d’immigration, à l’exception des règles de procédure. Cette interprétation du Ministère ne trouve pas de sources explicites internes à l’accord, et est souvent vu par les praticiens du droit des étrangers comme une source de difficultés.
Le même site du Ministère de l’Intérieur évoque un peu plus bas quelque chose qui nous intéresse. Selon lui, « L'entrée des Algériens en France est facilitée (condition d’entrée régulière, et non de visa de long séjour, pour la délivrance de certains titres de séjour). » Il serait donc possible à un ressortissant algérien d’entrer en France sur la base d’un visa Schengen, donc inadapté à sa situation, et d’ensuite faire une demande de titre de séjour (la terminologie spécifique aux ressortissant algériens est « le certificat de résidence ») ? Voilà qui fait froncer les sourcils de toute personne qui sait à quel point l’administration est dure envers les ressortissants algériens : demandes de documents renforcés, exigences particulières, etc… Un dossier de ressortissant algérien, tout le monde vous le dira, doit être 2 voire 3 fois plus solide qu’un dossier d’une autre nationalité pour pouvoir espérer recevoir son certificat de résidence. Alors l’idée que l’administration consentirait à valider un dossier dans lequel le demandeur n’a en plus pas de visa correspondant à son entrée en France relève clairement du challenge.
En réalité, cette « facilité d’entrée » (on le verra, le terme est mal choisi) ne vise quasi-exclusivement que les conjoints de français algériens. Ils/Elles bénéficient d’une exemption similaire à l’article L412-1 du CESEDA : l’entrée sur le territoire français n’a pas à se faire avec le bon visa. Elle doit simplement avoir été régulière. Ainsi, tant que le ressortissant algérien est arrivé en France sur la base d’un visa en cours de validité, quel qu’il soit, il pourra prétendre à un certificat de résidence "conjoint de français". L’accord franco-algérien reprend également cette formulation pour conjoints de scientifiques étrangers.
En droit, nous retombons plus ou moins sur nos pattes. Si l’on ne tient pas compte du site du Ministère de l’Intérieur, qui fait peut-être de ces cas très spécifiques une généralité, il n’est pas choquant que les conjoints de français algériens bénéficient de la même exemption que les conjoints de français non algériens. En pratique, toutefois, les choses sont assez différentes. Mettons de coté le fait que les dossiers de ressortissants algériens soient plus complexes que la majorité des dossiers, et penchons-nous sur le site France-Visas, qui est le site officiel permettant de remplir son formulaire de demande de visa, et constitue donc la première étape pour toute demande de visa. Essayez donc, si vous le souhaitez : il n’est pas possible de demander un visa long séjour pour conjoint de français pour un ressortissant algérien. Les catégories de visa ne l’y autorisent pas. Sélectionnez par contre « court séjour », et l’option « conjoint de français » apparait, si vous avez sélectionné la nationalité algérienne.
Est-ce une erreur informatique ? Qui n’aurait été faite que pour les ressortissants algériens, car toutes les autres nationalités peuvent bien sélectionner un visa long séjour « conjoint de français » ? Que nenni. Faites une demande de visa « conjoint de français » pour un ressortissant algérien, et c’est un visa Schengen, de court séjour, qui sera délivré par le Consulat. Nous sommes donc ici dans un cas de figure assez troublant, où l’exception devient la règle et où le conjoint de français algérien, parce qu’il en a la faculté, se voit obligé d’entrer en France sous un statut inadapté à sa situation réelle. Ce qui est une faculté, peu recommandée car de dernier recours pour toutes les autres nationalités est, en pratique, une obligation pour le ressortissant algérien.
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